Le Club Vision Pharma organisé par Les Echos Events et le Giphar (Groupement Indépendant de pharmaciens indépendants) a tenu séminaire auquel j’ai participé comme intervenant sur le thème : « Développer son business sans craindre la concurrence ». Avec près de 22.500 officines en France qui réalisent environ 38 Mds € de ventes, le secteur de la pharmacie vit des tensions liées à des règlementations contraignantes et à des marges sur les médicaments sous ordonnance érodées par des politiques de santé dont seul le prix sert de variable d’ajustement du trou sans fond de l’assurance maladie. Alors que les pharmaciens réalisent encore environ 80% de leur chiffre d’affaires avec la vente de médicaments sous ordonnance, il y a urgence pour eux d’être moins dépendants d’un système de santé qui, faute d’être réformé, se déforme. Pour preuve, selon Les Echos, dans les grands pays européens le chiffre d’affaires des pharmaciens augmente fortement, alors qu’il recule en France, leur monopole vacille.
La cause principale de la faiblesse française réside dans une vision encore traditionnelle de la pharmacie avec un merchandising déficient, un agencement de magasin daté, un retard dans le e-commerce et la digitalisation, une valorisation quasi inexistante des services. Les pharmaciens sont devenus des vendeurs de boîtes sur ordonnance, à l’instar des opticiens qui n’ont pas la maîtrise des équipements optiques imposés par les ophtalmologistes, ce qui a évolué depuis peu... Pour compenser leur manque d’autonomie et leurs marges étriquées, les pharmaciens ont investi les OTC (Over The Counter) : les médicaments sans ordonnance, assortis d’une foultitude de produits et de marques vendus sous le chapeau de « parapharmacie ». Or, la parapharmacie est convoitée par la grande distribution, des enseignes, des discounteurs, des sites de e-commerce et demain des nouveaux acteurs inventifs qui batailleront à coups de marketing attractif et/ou racoleur, une bataille qui sera perdue par les pharmaciens qui, pour la plupart, ont des « scrupules » à assumer leur rôle de commerçant.
En réaction, la profession doit penser « beyound the pill » comme disent les anglo-saxons, c’est à dire développer une stratégie où symboliquement et physiquement le pharmacien doit sortir de derrière son comptoir (encombré d’OTC !). Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans un rapport face à face entre client et professionnel, mais côte à côte (le client est de plus en plus sachant, souvent davantage que le professionnel, ils sont au même niveau relationnel), il apparaît indispensable de revoir la physionomie de l’espace de vente avec un marchandising à la fois plus ergonomique et plus sélectif. De nombreuses pharmacies ressemblent à des drugstores au mieux, à des bazars au pire avec une accumulation de produits « hors sujet ». Un pharmacien est-il légitime à vendre des lignes de maquillage, des senteurs pour la maison, des produits coiffants, des compléments alimentaires dont l’efficacité n’a jamais été prouvée… ?
En plus d’une mutation indispensable des points de vente, les intervenants du séminaire ont rappelé la nécessité de s’engager dans la voie de la diversification avec les services de santé comme levier de croissance. Alors que les instances publiques entendent prendre le virage ambulatoire pour soulager le milieu hospitalier et la médecine de ville, le pharmacien s’impose comme un relais de proximité évident pour prendre en charge le suivi des patients atteints de longues maladies, la vaccination, le suivi thérapeutique, la livraison à domicile, la prévention, la prédiction… : des services qui bien sûr doivent être rémunérés à leur juste prix, comme cela existe chez nos grand voisins européens, les Anglais étant en pointe sur le sujet. En résumé, le pharmacien doit (re)devenir l’acteur de santé référent de clients actuels et futurs qui, d’un côté sont de plus en plus autonomes et de l’autre ont besoin de compétences objectives pour entretenir leur santé et leur bien-être au quotidien. Un rôle partagé par l’opticien qui doit s’imposer comme un professionnel de la santé visuelle incontestable et un commerçant assumé. A condition que les institutions politiques ne chargent pas la mule avec de nouvelles contraintes réglementaires et budgétaires…
Images D.R.