Le marché mondial de l’optique-lunetterie est toujours sur une croissance durable, variable d’une région ou d’un pays à l’autre évidemment, portée par le nombre de porteurs à rééquiper et de non porteurs à équiper, du vieillissement de la population, du besoin d’équipements de protection des actifs et des jeunes qui passent de plus en plus de temps sur les écrans et… de la mode ! Le segment des montures profite/doit profiter du désir des individus d’afficher des lunettes esthétiques, design, fashion. Ce n’est pas un hasard, si (presque) toutes les griffes de luxe et de mode mettent en place des stratégies d’intégration ou de délégation pour créer, produire et vendre leurs collections de lunettes, devenues des must havepour beaucoup de montures désirables.
Ces derniers temps, le secteur vit une révolution prévisible avec l’attelage EssilorLuxottica, la création de Kering Eyewear, le rapprochement entre LVMH et Marcolin via Thélios, une coentreprise dédiée à la lunetterie… Des mouvements qui en annoncent d’autres et qui n’ont pas manqué de « chahuter » le groupe indépendant Safilo, numéro 2 mondial derrière Luxottica.
Dix mois après sa prise de fonction comme CEO du groupe italien, Angelo Trocchia a retrouvé la presse pro de l’optique hier mercredi à Paris, avec Carole Binet, Country Manager France et Benelux, pour faire un point sur l’actualité et remettre d’équerre les fausses rumeurs qui circulent, notamment, le départ des griffes du groupe LVMH, Givenchy, Fendi, Marc Jacobs et Dior. Cette dernière étant une véritable cash machine qui aligne une croissance à deux chiffres et devrait peser, selon les estimations évoquées ici et là, plus de 200 millions d’euros de business. On imagine bien que le groupe LVMH va regarder à deux fois avant de se séparer de ce partenaire qui fait un sans faute depuis de longues années et lui assure un CA conséquent. Le succès des lunettes Dior est lié bien sûr à l’attractivité planétaire de la marque, mais aussi au savoir-faire global des équipes du groupe Safilo, une entreprise active sur toutes les étapes de la chaîne, du design à la commercialisation, et aussi bien sur les segments luxe, premium et mass market.
Une position qui autorise le nouveau patron du groupe à être serein : « Les jeux sont loin d’être fais, le sont-ils jamais ? Et nous avons des relations constructives et solides avec toutes les marques qui nous font confiance ». Sans parler des contrats qui les lient… D’autant que l’entreprise italienne est loin d’être à la remorque de quiconque, récemment, elle a resigné avec Havaïanas, Levi’s, Fossil, Banana Republic, Tommy Hilfiger, et a récupéré Missoni pour les dix prochaines années…
Ingénieur aéronautique de formation et après un MBA de management et de marketing, Angelo Trocchia a mené une carrière internationale dans le groupe Unilever, avant de prendre les rênes de Safilo Group. Pragmatique et ouvert d’esprit, le manager, qui ne vient pas du sérail de l’optique, a un regard neuf plutôt stimulant. Il ne s’embarrasse du passé et regarde l’avenir, bien conscient des formidables opportunités d’un marché des montures aux perspectives positives. « A condition d’être agile et réactif », précise-t-il. Safilo est un challenger historique qui compte avec un portefeuille d’une trentaine de marques propres ou sous licences à forte notoriété pour la majorité d’entre elles, un centre de design performant, une capacité de production intégrée importante et nerf de la guerre, un puissant réseau de commerciaux partout dans le monde. Des atouts majeurs qu’Angelo Trocchia entend renforcer et améliorer, avec en point clé, un partage des prises de risques et de décisions des managers de chaque division pour faciliter l’agilité : « La concentration des pouvoirs et une sureprésentation hiérarchique freinent la capacité des entreprises à faire ce qu’elles ont à faire au bon moment et au bon endroit ».
Carole Binet, Country Manager France et Benelux du groupe, n’a pas manqué de saluer ce changement, étant confrontée à un marché hexagonal dans le flou depuis l’imposition du fameux RAC 0 qui donne des migraines à toute la profession. Là encore, le pragmatisme règne en maître : « Nous avons écouté les opticiens, indépendants et enseignes, pour changer nos conditions commerciales, travailler sur l’offre et le stock tendu, les accompagner au quotidien en terme de formation et de merchandising, bref, leur faire comprendre que nous sommes le seul groupe indépendant avec un tel portfolio de marques, que nous sommes leur partenaire réactif et suffisamment flexible pour s’adapter à leur réalité ». Et il faut de l’énergie pour secouer des opticiens chagrins, dans la nasse du pessimisme et dont les magasins sont souvent d’une banalité à pleurer…
Safilo est convaincu à juste titre que les magasins d’optique doivent se réinventer pour devenir des lieux de plaisir et de destination… Il leur faut recomposer leur offre avec une diversité de marques, une profondeur de produits, une largeur de styles, un merchandising vivant, et en mettant l’accent sur le marché de l’homme dont le potentiel est important pour les prochaines années et sur le solaire délaissé à tort par les opticiens. La route est tortueuse, mais il semblerait que Safilo ne la quitte pas des yeux…