L’histoire de l’industrie de la lunetterie française commence avec un clou et un peigne. Nous sommes au début du XIXe siècle. Passés maîtres dans l’art de triturer des clous, des artisans cherchent à élargir leur savoir-faire, ils réalisent alors des montures en fil de fer dans des bourgs du Haut-Jura dont Morez devient la place centrale. Quelques décennies plus tard et à quelques encablures plus loin dans la région du Haut Bugey, des fabricants de peignes en plastique jettent un œil averti vers les lunettes dont ils entendent faire un nouveau relais de croissance. Dans les années 20, la ville d’Oyonnax devient le centre mondial de fabrication de lunettes en plastique et nargue Morez la fil-de-fériste. Longtemps, ces deux cités industrieuses vont se tirer la bourre, au point de laisser passer la mondialisation qui transforme une économie devenue hors-sol, sans frontières.
À partir des années 80/90, commence le lent crépuscule de l’industrie de la lunetterie française rattrapée par l’Italie qui, par opportuniste et clairvoyance, alpague les grandes marques de la mode et du luxe qui voient dans les lunettes un accessoire formidablement attractif et rémunérateur. Les Italiens s’imposent en industriels, maîtrisant toute la chaîne de valeur avec des groupes de taille mondiale. Les sociétés françaises subissent aussi l’offensive de la Chine qui jusque-là produisait des lunettes à vil prix et, depuis une vingtaine d’années, usine des productions à la hauteur des critères de qualité occidentaux, jusqu’à même les surpasser. Car l’Empire du Milieu a beaucoup appris de nos exigences et de nos savoir-faire, produisant des lunettes de grande qualité pour des marques de haut niveau : 80% des lunettes du monde sont produites en Asie. Au détriment de la France. Les faits sont têtus : à Oyonnax, « capitale de la plasturgie » en 1955, près de 210 entreprises fabriquaient des montures ou partie de montures, aujourd’hui, elles sont moins d’une vingtaine !
Même si l’optique-lunetterie demeure dans un étiage bas, il reste une cinquantaine d’entreprises qui produisent des composants de montures et des lunettes, principalement concentrées dans le bassin jurassien, en Rhône-Alpes et en région parisienne. L’intérêt des consommateurs pour le « fabriqué en France » devrait réveiller l’industrie. Il est temps, la part des produits Made in France pèse moins de 10% pour les vêtements, les bijoux, l’horlogerie ou encore les lunettes. La route est encore longue et la pente escarpée, mais ça bouge. D’autant que malgré une industrie éparpillée, les lunetiers et les créateurs français ont su préserver et maintenir au-delà des frontières hexagonales, leur sens esthétique 100% stylé, une capacité à imposer un classicisme épuré twisté par une fantaisie désirable. L’art de bien vivre à la française apprécié partout est aussi un art de bien voir en bleu-blanc-rouge…
À lire le dossier complet dans le magazine MO FASHION EYEWEAR n°116 daté de mai 2022.
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