Quand on n’a rien à se mettre, une paire de lunettes bien campée vous habille et porte tous les regards. Les lunettes se surimposent en effet sur l’identité et se donnent à voir comme un organe de la présence sociale, et je dis bien « organe », car bien plus qu’un accessoire de mode ou un dispositif médical, elles se greffent sur le visage pour ne faire qu’un avec lui. Objet, corps et matière déterminent l’essence même d’une paire de lunettes qui excite la curiosité ou se fond dans la discrétion de son porteur.
Malgré une surface d’expression limitée — une face et deux branches — et des contraintes ergonomiques, des centaines de nouveautés s’offrent à voir chaque année. « Créer, c’est chercher sans relâche des combinaisons originales, imprévues », écrivait l’historien de l’art Aby Warburg qui a posé les bases de la science des images. Parmi le vivier de lunetiers, de marques de mode, d’opticiens designers, de marketeurs opportunistes… s’immiscent des créateurs montés sur ressort qui tordent les lunettes et prennent le risque de l’iconoclasme pour forcer nos yeux à regarder ailleurs.
Dans le magazine MO Fashion Eyewear de mai 23, nous en avons repéré une quinzaine, des talents qui démultiplient les points de vue sur l’objet lunette en cherchant une nouvelle grammaire figurative, une ingéniosité stylistique, pour bousculer l’esthétique obligée : une face, deux branches. Sans obérer la nécessité de confort et de bien aller : une paire de lunettes se porte sur le nez !
Pascal Jaulent, iconoclaste et fondateur de la marque FACE À FACE en 1995 qui joue désormais les mentors pour des marques et des créateurs, interviewé dans le magazine, admet la nécessité de « surprendre dans un marché encore plus concurrentiel », la nécessité de traquer l’imprévu et aussi de vendre : « Faire de belles lunettes ne suffit plus, c’était déjà vrai hier, ça l’est encore plus aujourd’hui, il faut un vrai projet artistique ou technique, un positionnement de marque clair, un sourcing fiable et durable, un angle créatif distinct. » Distinction qui ne se réduit pas à une créativité débridée et inconstante de prouesses stylistiques, Pascal Jaulent, pétris de bon sens, rappelle que la réussite et une place acquise dans le cénacle des marques qui comptent, tient à une stratégie intègre, « en captant les attentes des marchés, sans se trahir ni se travestir pour durer. »
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